L’un de mes films préférés…. et pour cause, que je ne me lasse pas de voir et de revoir.
Un article à lire : Le festin de Babette
Le film commence en 1871. Martine et Filippa sont les deux filles d’un pasteur autoritaire et possessif, guide d’une petite communauté luthérienne du Jutland, sur la côte danoise. Elles ont été amoureuses dans leur jeunesse, l’une d’un chanteur français, Achille Papin, et l’autre d’un jeune officier, le futur général Lorenz. Mais elle se sont sacrifiées pour leur père et pour la communauté, se dévouant en œuvres de charité. C’est alors qu’arrive Babette, cuisinière du ”Café Français” de Paris, fuyant la répression de la Commune. Recommandée par Achille Papin, elle entre au service des deux sœurs et peu à peu, elle qui fut célèbre (on l’apprendra plus tard) se fait une humble place dans cette communauté rigoriste. Le seul lien de Babette à la France est un billet de loterie qu’une amie lui renouvelle tous les ans.
Après bien des années, Babette gagne 10000 francs. Elle demande la permission d’offrir à la communauté ”un vrai repas français”. Au cours d’un extraordinaire festin, les esprits se libèrent. Le passé ressurgit alors avec ses émotions, intactes et précieuses. Or, pour ce moment de joie, Babette a englouti toute sa fortune…
Une communauté qui va ressusciter
Guide spirituel et moral du village, le pasteur est aussi le fondateur d’une ”congrégation”. Après sa mort, ses deux filles entretiendront les réunions des disciples, non sans division. Nous ne sommes pas loin de la vie des premiers chrétiens décrite par St Luc : on se retrouve autour de l’enseignement du maître et d’un goûter sobre et frugal. On loue le Seigneur, son incarnation et sa grâce. Manque l’allégresse ! L’âpreté de la vie dans cette contrée arrange bien une rigidité morale et spirituelle où le corps semble nié.
”Le Seigneur adjoignait chaque jour à la communauté ceux qui trouvaient le salut” dit Luc. Babette est accueillie. Qui est le salut pour qui ? La communauté pour Babette ou Babette pour la communauté ? Peu après son arrivée, seule dans la cuisine, elle mange sa soupe au pain. Les sœurs dînent à côté : la lumière est bleue, froide d’austérité. Babette, le visage illuminé par couchant, observe à la fenêtre un berger avec son mouton… Pourquoi ce plan pastoral ? Il est unique et bref. Mais tout est dit. Babette va tout donner, offrir ses compétences d’artiste, en y renonçant d’abord, puis en les révélant… Plus tard, en reconnaissance pour l’accueil, l’intention de Babette d’offrir un dîner français provoque la suspicion. Des denrées inconnues, du vin arrivent au village : le démon serait-il de la partie ? Babette s’active, la cuisine devient un lieu chatoyant de mille couleurs : les plats sont un régal pour l’œil. Dans la salle à manger, l’austère table en bois est habillée pour l’occasion : le bleu devient or.
La grâce infinie
C’est l’heure ! Pour résister à la tentation, les convives ont décidé de garder le silence, mais les corps exprimeront la merveille de l’instant. L’artiste a donné la vie. Le repas bouleverse l’ancien rituel : objet d’une communication nouvelle, il se veut temps et lieu d’accès à la transcendance : ”Arrive enfin le jour où nos yeux s’ouvrent et où nous comprenons que la grâce est infinie”, dit le général. Le repas ne se limite pas à une euphorie sensuelle. Le groupe des disciples qui s’était défait autour de la table précédente, se refait par la table de Babette et l’acceptation de la corporéité, non comme une puissance de mort maléfique mais comme lieu possible d’une présence divine : la réconciliation n’en est-elle pas le signe le plus manifeste ? Le spirituel serait-il dans le plus corporel ? Le billet de loterie est dépensé pour la gratuité. L’argent est converti en grâce, le rigorisme en joie : ”Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens, pour en partager le prix entre tous” (Ac 2,45).
La communauté renouvelée peut poursuivre ses rencontres, ses partages, sa louange dans l’allégresse. ”Beaucoup de prodiges et de signes s’accomplissaient par les Apôtres” (Ac 2,43). Babette, une apôtre ? En tout cas, au paradis, elle enchantera les anges !
Renaud LABY